LES ARTISTES DES 20 ANS
Caroline FIGHIERA-MOLLANGER
Pour ses vingt ans, le Festival du Peu montre qu’il a de belles réserves de printemps et poursuit son expérience de fusion entre art et lien social, avec une immersion encore plus forte dans le village, sa topographie, sa population. S’il couvre un large domaine, des innovations de l’art textile jusqu’aux expressions urbaines, le festival sollicite également la participation des nombreux enfants de la commune dans un retour aux sources et à la forme originelle du “P“ personnalisable de Jean Mas. Selon l’usage, pour révéler la diversité des pratiques contemporaines tout en repoussant les limites de l’art ou de la perception, c’est naturellement un plateau de vingt nouveaux artistes qui est présenté cette année, offrant une large place aux femmes en tant que porte-voix sensibles et visionnaires des bouleversements du monde actuel.
Le parcours commence dès la place de la fontaine, où la tonnelle installée sur l’emplacement fantôme d’une ancienne chapelle accueille la proposition de Caroline Fighiera-Mollanger, misant sur l’apparente insignifiance de petites entités, un presque rien qui, dans une étroite relation à la nature, pourrait nous élever vers le Tout. En suivant les ruelles vers la place de l’église, on visite l’espace Monod où trois expositions mettent en question le corps et la condition féminine. Ici, les figures complexes de Nathalie Broyelle, avec leurs répétitions, leurs lectures multiples, célèbrent la force de la vie dans une ivresse de formes et de couleurs. Là, en montant quelques marches, s’offre au regard l’éloquente simplicité de la “Peu-lote“ imaginée par Jacqueline Matteoda, usant de sa technique emblématique de tissage de journaux et disant mieux qu’un discours l’esprit du Peu, son fil conducteur. Enfin, on descend à la cave voûtée à la rencontre des imprévisibles Ménades, collectif brocois dont l’œuvre invite à la participation des visiteurs, pour une réflexion sur le sens et le poids des mots confrontés au vide des objets.
Sur la place voisine les formes ajourées signées SETCH jouent avec la blancheur minérale des murs et l’azur du ciel, ouvrant des espaces propices à l’envol de l’imagination. L’hôtel de ville lui-même devient un écrin d’art. Dans la salle du Conseil se déploient les matériaux, les outils, les gestes obsessionnels qui font la substance des œuvres de Sophie Geffray, laissant émerger une parole nouvelle à travers les images anciennes. Le bureau du Maire, quant à lui, se voit occupé par les Étrangetés botaniques d’Agnès Jennepin, dont le processus d’effacement fait naître des hybridations mêlant le végétal, l’animal et l’humain ouvrant la perception vers des mondes inconnus. Le détour par la place du Vallat est l’occasion d’aller à la rencontre de gens du Peu, anonymes issus des rues de Nice, à travers la série de douze portraits réalisés par Ivan Ghioni, agissant comme un regard dans le miroir qui permet de distinguer l’essentiel.
Retour au centre du village avec deux nouveaux points. Dans la vitrine des arcades, lieu singulier, intime et hiératique, le travail d’Amandine Rousguisto révèle des techniques ancestrales utilisées de manière non conventionnelle, sur une mémoire qui tisse le fil du temps. Juste à côté, à la croisée des chemins entre art et sciences, l’installation de Stéphanie Lobry dans la salle de billard du bar de la Fontaine projette ses spectateurs dans une échelle modifiée, au cœur de la matrice.
La traversée de la commune se poursuit avec des installations dans l’espace public. Une petite descente amène place Rue Neuve où sur le mur brut d’un bâtiment disparu Isabelle Hupfer affiche, avec l’humour et la légèreté qui caractérisent la profondeur, une série ad hoc jouant sur le nombre 20, distinguant une vingtaine de figures iconiques ou un peu oubliées du turbulent XXe siècle. En remontant sur la place des Pavés, plus près du soleil, se dresse un totem de Paolo Bosi, qui transporte au-delà des apparences son alliance des contrastes entre minéral et organique. Plus loin, un cheval cabré, premier coup d’essai artistique de Luc Doutre, impose une monumentalité qui pourtant vient du peu, du très peu, par la multiplication à l’infini d’une simple cellule de base. En face, le signal dressé par Pascal Claeren n’est pas sa célèbre flèche, en vacances cette année, mais un puissant nœud de barils de pétrole incitant à la réflexion pour mettre en jeu notre responsabilité collective face au dérèglement climatique.
La trilogie finale de cette balade dialogue de manière étroite avec la nature des lieux. Isabelle Varlet joue avec l’architecture et l’identité de la chapelle Saint-Antoine, en partageant sa sensibilité exacerbée au vivant et à ses infimes variations dans une installation créée pour l’occasion. Au lavoir, symboliquement suspendu entre l’intime et l’extérieur, Isabelle Boizard étend ses robes revisitées, cousues des souvenirs oubliés d’une Ophélie ressuscitée, avec l’ambition d’essayer de “dire un peu quelque chose“. Dans le moulin à huile enfin, lieu dédié à la transformation du végétal, Sandrine Arakelian remplace, accompagne et transcende les machines et les corps habituellement en action durant le fonctionnement en installant dans l’espace ses créations hybrides suggérant le vivant.
À l’issue d’un tel parcours ménageant surprises, audaces et émotions, j’oserai pour conclure une hypothèse toute personnelle – qui n’engage que l’auteur de ces lignes – selon laquelle la principale vertu d’une telle manifestation pourrait être, en fin de compte, la promotion de la LIBERTÉ, liberté d’expression, de déplacement, de création… Ce bien si précieux, à respecter et à préserver, qui a pourtant été abondamment trahi et mis à mal durant la récente crise sanitaire, y compris par la plupart des acteurs du monde de l’art et de la culture quand ceux-ci se sont vautrés avec complaisance dans les pratiques liberticides, les contrôles numériques, les vexations discriminatoires et l’abrutissement que procure le poison du pouvoir. Rien de tout cela évidemment au fil des ruelles et dans les salles d’expositions de cette édition anniversaire où seule résonne, comme pour mieux s’ouvrir au monde, «la voix du dedans». Alors peut-être, à sa modeste mesure, l’esprit du “Peu“ pourra-t-il contribuer à surmonter ces dérives et à rétablir l’art dans son honneur perdu. Car en cherchant son cœur d’enfant, on dit qu’on a toujours vingt ans !
FB.
Visite guidée par Frédérik BRANDI, commissaire de l’exposition
Née à Nice en 1974
Vit et travaille actuellement à Saint-Paul de Vence
instagram : caroline fighiera mollanger
“Sur le chemin fait de virages, rétrécissements, élargissements, qui mène au Broc, en me connectant au Peu et ce que cela évoquait en moi, il m’est apparu évident que je souhaitais installer à travers le village des petites entités, qui prises individuellement seraient presque ignorées, comme insignifiantes, que le public s’il devenait présent à lui-même, au lieu, pourrait remarquer. Je souhaitais trouver un lieu spirituel où tous ces Peu, ces presque rien, se retrouveraient pour s’élever et aspirer au Tout (…) mus par le Souffle Vital.“ CFM
Dans son travail d’artiste, attentive à l’influence du temps et de l’environnement, Caroline Fighiera
Mollanger se nourrit de tout ce qui l’entoure, en se laissant diriger par le flux naturel de la vie. Étrangère aux idées préconçues, elle aime explorer tout en se laissant surprendre, cultivant une approche à la fois intuitive et sensuelle dans la sélection des territoires, des matériaux ou des supports. Ainsi, pour ce projet, en cherchant la connexion de tous par la lumière intérieure, éclairante, transcendante, une évidence est apparue en entrant dans le village, sur la place de la Fontaine…
En effet, de la chapelle de la confrérie des Pénitents Blancs, érigée au XVIe et détruite au milieu du XXe siècle, il ne reste rien d’autre aujourd’hui qu’un buste dédié à Saint Jean-Baptiste dans une petite niche adjacente à ce qui était autrefois la nef de la chapelle. Cette place unissant différentes spiritualités dans l’ouverture sur le visible et l’invisible, dans la mémoire de l’engagement de mixité, de prière et d’entraide de la confrérie, s’est donc imposée comme un lieu idéal pour son exposition à l’occasion des 20 ans du Festival du Peu, l’âge des possibilités, des choix, lorsqu’il s’agit d’aller vers la solidarité, l’harmonie, de choisir la lumière pour essayer de définir la place de l’homme dans un univers mouvant.
Nathalie BROYELLE
La tonnelle Place de la Fontaine
Nathalie BROYELLE
Née en 1970 à Aix-en-Provence
Vit et travaille à Nice
Atelier du Trident, 14 av du Trident, Nice
06 60 79 13 81
nathaliebroyellecours@gmail.com
https://nathalie-broyelle.odexpo.com/
Diplômée de la Villa Arson, Nathalie Broyelle vit et travaille à Nice. Après avoir enseigné de nombreuses années, les arts plastiques en Collège, et le dessin en École supérieure d’arts appliqués, elle se consacre aujourd'hui pleinement à sa production artistique et a ouvert son propre Atelier de dessin/peinture.
Engagée dans une peinture plutôt figurative et féminine, déconstruite voire volontairement inachevé, avec des jeux de doubles lectures, de superpositions d’images.
De ses oeuvres, on retient qu’il se dessine un travail complexe, dessiné académiquement, souvent supplicié et malmené, déstructuré. qui vacille entre éros et thanatos.
Pour le festival du PEU , elle choisira de réaliser une installation, qui s’inscrit dans la suite de son très récent travail autour de Sainte Agathe.
Espace d'exposition Claude MONOD